outrageux outrage

Il faut que je vous narre ma visite en librairie, mais avant que je vous en situe le contexte :
Je suis tombée sur la critique d'un livre qui m'a donné envie de le lire :
roman “d'une humanité terrible”

C'est vrai que j'ai un faible pour les écrivains dépressifs qui nous racontent notre société. Ce sont souvent ceux-là qui me touchent, me retournent les tripes, me secouent, dont le souvenir reste pendant longtemps. J'ai ainsi une tranche de jambon* qui me revient régulièrement en mémoire.

En cherchant à en savoir un peu plus sur ce roman, je me suis rendu compte qu'il faisait l'objet d'une polémique.
Comme je ne suis pas spécialiste, c'est vrai je suis discothécaire alors les livres vous savez...
J'ai pris l'avis de collègues pour savoir s'ils l'achèteraient pour leur bibliothèque, parce que c'est ma première option pour lire un livre : l'emprunter dans une bibliothèque. Encore faut-il qu'elle l'achète et c'est là ou c'est devenu compliqué.
Après moult échanges dans un groupe Facebook bien connu,  j'ai fini par arriver à la conclusion que je ne suggèrerais pas à mes collègues cette acquisition.
- Parce que ce livre ne fait pas l'unanimité certes, mais qu'en dehors d'une personne intéressée pour le lire, il risquait de prendre la poussière sur nos étagères (encore et toujours cette fichue poussière) et à moins de faire de la médiation autour, il ne risquait guère de rencontrer son public. Or ce livre évoque les tabous ultimes de notre société : la pédophilie, la zoophilie et peut-être encore d'autres -philies que j'ignore, alors faire de la médiation, donner envie de lire ce livre risquait d'être compliqué.
- Parce que les 581 autres romans de la rentrée littéraire auront raison de nos budgets.
- Et puis, j'avoue une certaine lassitude à défendre, becs et ongles, des livres qui disent que l'amour c'est triste, c'est moche, c'est sale et que ça  finit mal... en général. A expliquer que nos bibliothèques doivent satisfaire tous les publics, ne pas se dire que ce livre conviendra à un public dont on estime les lectures malsaines et qu'il trouvera ce qu'il cherche ailleurs, c'est porter là un jugement que nous n'avons pas à avoir. Que l'on achète pas que ce que l'on aime.
A expliquer que la scène de la petite fille, reprise un peu partout sur la toile, est à lire avec les filtres que nous adultes et, encore en plus, bibliothécaires devons avoir :
"la loi définit clairement le fait qu'un mineur de moins de 15 ans n'est pas consentant, quelles que soient les circonstances. Ce n'est pas par hasard ni une projection d'adultes : un enfant pris dans ces situations n'est pas en mesure de démêler ce qui est de l'ordre du consentement réel (nécessairement éclairé) et ce qui est de l'ordre de l'autovalidation par la satisfaction de l'adulte. Comme je le disais plus haut, la question du ressenti de l'enfant victime de pédophilie est extrêmement complexe, et ça n'en reste pas moins une victime. Je trouve assez courageux de la part de l'auteur de l'avoir mis en lumière, justement..." Jiminy Callixte sur Facebook
Je comprends qu'en fonction de son vécu, on soit plus sensible à certains récits, pour moi le pire du pire aura été "american psycho" (pour l'instant) et ce qui est valable pour moi ne vaudra pas, par exemple, pour une jeune maman d'une petite fille qui a certainement un pyjama rose ;-)
Mais cet extrait mis en exergue c'est trois lignes dans un roman de 400 pages...

Ces échanges, comme souvent,  m'ont fait réfléchir à nos pratiques dans nos bibliothèques : nous signalons les films, les jeux vidéos voir certaines bandes-dessinées dont le contenu pourrait être inappropriés, mais je connais très peu de bibliothèques qui signale les romans au contenu X.
Et si c'est le cas : quel est le curseur ? Il est tellement variable d'un individu à l'autre...

J'ai donc décidé d'aller acheter ce livre dans une librairie et voir comment ils le présentaient car il n'y aucune mise en garde de l'éditeur, ce qui est d'ailleurs un vrai argument dans cette polémique !
En effet, ce livre peut être confondu avec de la "dark romance", créneau de cet éditeur, principalement lue par de jeunes adultes et dans le cas qui nous intéresse par des mineurs. Même si, et cela a été évoqué dans les échanges, sur Facebook, on peut s'interroger sur la sensibilité des ados et la comparer avec celles de certains adultes parfois bien moins endurants.

Arrivée à la librairie l'Armitière j'ai tenté de trouver le livre moi-même, peine perdue, c'est avec la libraire que nous l'avons trouvé bien rangé. Je me suis dit parfait, ils l'ont, mais n'en font pas la promotion, cela me semble honnête, d'autant plus qu'après discussion la libraire m'a avertie et mise en garde.

Et puis, il y a eu la FNAC ! Un grand moment !
Ne trouvant pas non plus le livre, je demande à une libraire qui commence à chercher sur son écran, quand un libraire juste à côté d'elle, occupé avec une grand-mère et sa petite-fille, me lâche un tonitruant et défintif "Nous ne l'avons pas et nous ne l'aurons pas !"
Le problème avec moi c'est que ce genre de réponse me fait bondir et à un effet totalement contraire à celui espéré. Je lui demande les raisons et il commence à me parler d'un livre malsain qui n'a pas sa place en rayon, autant j'accepte la critique autant je ne supporte pas le jugement, je lui explique qu'en son temps un certain livre de Despentes avait eu le même accueil.
Et là, je suis restée scotchée, il se déplace met ses deux mains sur les oreilles de la petit-fille et me dit "vous voulez parler de "baise-moi"" ?
Je vous laisse imaginer la tête de la grand-mère, la libraire, la petite-fille et moi ?
J'ai un peu insisté car je ne supporte pas qu'on décide pour moi de ce qui est bien ou pas. J'ai eu droit à l'argumentaire lu et relu sur internet, quasiment mot pour mot ; zoophilie, pédophilie, petite fille, ...
Entre-temps, il avait retiré les mains des oreilles de la petite-fille.
Je me plais à imaginer celle-ci rentrée chez ses parents, ce soir à table " ça veut dire quoi Zoophilie et pédophilie ?" à des parents se demandant ce qu'elle a fait de sa journée chez sa grand-mère.

Bref, à la fin le libraire a quand même fini par me proposer de le commander.
Je me contrefiche de ce que l'on peut penser de moi, mais afficher ainsi les clients et juger de leur choix je trouve ça limite !
Tout ça peut-être pour un mauvais livre
Mais ça je le saurai bientôt car je vais le lire...

*la tranche de jambon, si vous n'avez pas trouvé c'est dans "une semaine de vacances" de Christine Angot

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